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Quand notre expérience nous induit en erreur

Des chercheurs néo-zélandais ont étudié l’influence de la couleur du vin sur les odeurs perçues par des dégustateurs « experts » et « novices ». Pour reconnaître les arômes, les experts sont plus performants. Mais leur jugement se révèle plus influencé par la couleur du vin, même lorsque celle-ci est artificiellement modifiée…


L'expérience : reconnaître les odeurs de trois échantillons de vin


52 dégustateurs participent à l’expérience.


On distingue deux catégories : d’un côté les « novices », buveurs occasionnels sans connaissances particulières, et de l’autre les « experts », professionnels du vin (vignerons, œnologues, sommeliers…).


Trois échantillons de vin sont utilisés pour cette expérience :

  • Échantillon N°1 : un vin blanc, de couleur jaune pâle

  • Échantillon N°2 : ce même vin blanc, coloré en rouge (le colorant est totalement neutre en goût et en odeur)

  • Échantillon N°3 : un vin rouge, de couleur rouge pâle

Chaque dégustateur doit sentir chaque échantillon de vin et indiquer sur une échelle allant de « absent » à « extrême » sa perception de quatre odeurs prédéfinies : deux odeurs typiques de vins blancs et deux odeurs typiques de vin rouge.


Chaque échantillon est présenté à la fois dans des verres transparents et dans des verres opaques qui masquent la couleur du vin.



Les résultats : experts et novices perçoivent et jugent différemment


Les novices sont moins performants que les experts dans l’exercice d’évaluation olfactive. C’est normal : il s’agit d’un exercice difficile qui demande de la pratique pour progresser. Leurs évaluations sont peu tranchées, car ils manquent vraisemblablement de confiance en leur jugement.


Néanmoins, les novices sont peu biaisés par la coloration du vin blanc en rouge (échantillon N°2). Leur évaluation de l’échantillon N°2 est quasi identique lorsque le vin est présenté dans un verre transparent et lorsqu'il est présenté dans un verre opaque.


Leur grande expérience de la dégustation rend les experts plus affûtés et également plus sujets à des biais

Les experts, quant à eux, détectent bien mieux les arômes des vins. Normal, ils sont expérimentés !


Lorsque les échantillons sont présentés dans les verres opaques, les experts identifient toujours les odeurs cohérentes avec la vraie couleur du vin : ils sont très compétents dans le recueil et l’analyse des informations purement olfactives.


Néanmoins, à la vue de la couleur de l’échantillon N°2 (vin blanc coloré en rouge), leur perception d’odeurs « typiques de vin rouge » est amplifiée, bien qu’il s’agisse d’un vin blanc. Ils sont significativement influencés par la coloration du vin, contrairement aux novices.


Inconsciemment, les experts classeraient d’abord un vin sur la base de sa couleur en le comparant à des vins qu’ils avaient rencontrés auparavant. La couleur induit un pré-jugement du vin, un mécanisme cognitif qui donne lieu à des « faux positifs » : i.e. que le système olfactif perçoit des odeurs qui ne sont pas réellement présentes dans l'échantillon de vin.


Que peut-on en retenir ?


Notre expérience et nos connaissances nous forgent un regard affûté pour analyser une situation nouvelle, pour en relever les faits saillants et en dresser un état détaillé, souvent éclairé.


Mais le revers de la médaille, c’est le risque de tomber dans le pré-jugement hâtif et ceci de manière parfaitement inconsciente. Notre expérience peut nous conduire à baisser la garde, à nous en remettre inconsciemment à notre expertise plutôt que d’analyser avec un regard neuf et frais la situation qui se présente à nous.


Méfions-nous de notre expertise, cultivons notre regard de novice : cherchons à devenir un débutant expérimenté


Comment contourner ce biais ?


Notre expérience nous permet généralement d’appréhender rapidement et avec justesse une situation nouvelle, et c’est très utile ! Mais lorsque les enjeux de la décision sont très importants, comment éviter de juger trop vite et de se tromper ?

En cultivant notre regard de débutant, en recherchant toujours un regard neuf. Certes, mais on a beau avoir conscience de nos biais, il est très difficile de s’y soustraire totalement.


Faisons appel au regard des autres, sollicitons de multiples la multiplicité des points de vue

Si nous ne pouvons y arriver seul, faisons donc appel au regard des autres, à la multiplicité des points de vue : dans l’expérience que nous venons de décrire, les novices n’ont pas subi le biais de jugement induit par la coloration du vin blanc. Un échange entre novices et experts, où les perceptions de chacun sont écoutées et considérées, auraient pu amener les experts à remettre en question leur jugement.



Et vous ?


Avez-vous un exemple d’appréciation/de décision rapide « basée sur votre expérience » qui s’est révélée fausse/mauvaise ?


Quelles méthodes employez-vous pour éviter ce type de biais de jugement ?




Références de l’étude


Wendy V. PARR, K. Geoffrey WHITE and David A. HEATHERBELL ; Journal of Wine Research, 2003, Vol. 14, No. 2–3, pp. 79–101



Pour aller plus loin sur la connaissance de nos schémas et biais cognitifs


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