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Vos hypothèses sont-elles fiables ?

Des dégustateurs chevronnés ont évalué le même vin, servi sous deux habillages différents. Les dégustateurs « ayant intégré l’idée qu’ils avaient en face d’eux un vin de table ou un vin de grande notoriété ont perçu et décrit ces vins comme tels ». Nos hypothèses implicites transforment notre perception et notre jugement. Et notre expertise n’est d’aucune aide, bien au contraire…




L'expérience : « décrivez ce vin et attribuez-lui une note qualitative sur 20 »


57 étudiants en œnologie participent à l’expérience (« les dégustateurs »).


On leur sert un vin rouge présenté dans une bouteille étiquetée « Vin de table ».


Quinze jours plus tard, on leur sert dans les mêmes conditions un vin rouge présenté dans une bouteille étiquetée « Pauillac, Grand Cru Classé ».



Les résultats : un même vin, deux perceptions différentes


Le vin présenté sous habillage « Vin de Table » (VDT) reçoit une note moyenne de 8/20, contre 13,2/20 pour le « Grand Cru Classé » (GCC). A première vue, cela paraît normal !


Allons plus loin : les dégustateurs décrivent les vins de manières très différentes. Pour le VDT, ils expriment librement leurs avis et leurs critiques. Pour le GCC, étonnamment, ils flattent le vin en amplifiant ses atouts. Quant aux défauts, les dégustateurs ont tendance à les minimiser et vont même jusqu’à remettre en cause leurs propres capacités à déguster.


Or il s’agissait dans les deux cas du même vin : un vin d’une qualité intermédiaire entre le Vin de table et Grand Cru Classé.


Les dégustateurs « ayant intégré l’idée qu’ils avaient en face d’eux un vin de table ou un vin de grande notoriété ont perçu et décrit ces vins comme tels »


Que peut-on en retenir ?


Le contexte (ici l’habillage des vins en VDF ou GCC), s’il n’est pas remis en cause, génère inconsciemment des attentes qui amorcent la perception du vin, et ceci avant même de l’avoir dégusté.


La perception de chaque vin résulte donc d'une construction réalisée à partir d’informations sensorielles (goût, arômes, texture…) et d'informations contextuelles.


« Je vois ce que je crois »

On dit communément : « je ne crois que ce que je vois ». La psychologie cognitive nous montre qu’au contraire : « on voit ce que l’on croit ».



Comment contourner ce biais ?


Dans cette expérience, les dégustateurs voient leur perception biaisée par une combinaison de deux facteurs.


> Premier facteur : ils sont persuadés que les vins qu’ils dégustent sont conformes à leur habillage. Seulement 10% des dégustateurs ont suspecté la supercherie et remis en cause cette hypothèse implicite. Résultat : leurs jugements s’opposent à la tendance générale.


> Deuxième facteur : ils possèdent une même culture du vin, qui les conduit en majorité à percevoir le GCC comme bien meilleur que le VDT


Cultivons notre esprit critique et recherchons des points de vue variés

Au sein des organisations, nous sommes bien souvent comme ces dégustateurs : nous possédons une culture commune - origine, catégorie socio-professionnelle & culture d’entreprise - et nos décisions sont fondées sur des hypothèses que nous ne prenons pas toujours le temps de challenger (et dans de nombreux cas, ce n’est pas nécessaire).


Mais lorsque les enjeux de la décision sont stratégiques, lorsque les moyens à engager sont importants, comment s’assurer que nos fondements sont solides ?


En cultivant l’esprit critique du collectif, c’est-à-dire en recherchant des regards multiples et différents.


C’est tout l’intérêt de la diversité des cultures au sein des organisations, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, pour réduire les tendances à la normalisation.


Mais encore faut-il que les perceptions différentes puissent être exprimées, écoutées et partagées. Dans l’expérience, chaque dégustateur dégustait et exprimait individuellement son jugement, sans échanger avec les autres dégustateurs.


Rappelons-nous que même si nous avons conscience des biais qui affectent notre jugement, nous sommes incapables, seuls, de les éviter.



Et vous ?


Pensez-vous à un projet où vous auriez économisé des ressources si vous aviez remis en question certaines hypothèses de départ ?


Vous souvenez-vous d’un mauvais recrutement parce qu’on se fie à une recommandation et qu’on néglige de rechercher des éclairages différents sur le/la candidat.e ?


Avez-vous ce collègue/collaborateur qui a toujours des idées farfelues. Mais au fond, ces idées ne sont-elles pas perçues comme telles parce que, précisément, elles émanent de ce collègue/collaborateur ?




Références de l’étude


F. BROCHET* et G. MORROT

J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192



Pour aller plus loin sur la connaissance de nos schémas et biais cognitifs


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